Le « SAP » (syndrome d’aliénation parentale), torture misogyne

Extrait de Mauvais Père, mon roman autobiographique publié en 2016 par Les Arènes sur le « SAP », le syndrome d’aliénation parentale, cette torture infligée aux mères, qualifiée de « conflit » par les institutions judiciaires.

Syndrome d’aliénation parentale dans le roman de Caroline Bréhat, Mauvais Père

« Diana, mon avocate, évoquait sans cesse le mouvement de défense des droits des pères, le SAP, la malédiction qui s’acharnaient sur les mères victimes de violences conjugales. Je sentais confusément que c’était là qu’il fallait fouiller, et, un jour, n’y tenant plus, je décidai de prendre contact avec des organisations de défense des droits de femmes à qui je racontai mon histoire. Comme Diana, elles évoquèrent le SAP, les lobbies des pères divorcés, mais elles m’expliquèrent que mon cauchemar était somme toute assez banal, classique. Cette lutte à mort pour protéger son enfant contre un père maltraitant et un système dévoyé était le lot de la plupart des mères américaines qui dénonçaient des violences paternelles. J’appartenais à une confrérie de mères misérables, damnées, qui avaient eu le malheur d’épouser un homme pervers, d’avoir eu des enfants de lui et de chercher secours auprès du système de protection de l’enfance américain.

La directrice de la respectable association Leadership Council on Family Violence, la psychologue Joyanna Silberg, m’apprit que mon affaire était le symptôme d’une « épidémie nationale. » Chaque année, aux Etats-Unis, environ 58 000 enfants étaient arrachés à leur mère, accusée d’aliénation parentale, et punie pour avoir dénoncé les violences paternelles, souvent sexuelles. Les chiffres de l’American Judge Association étaient particulièrement éloquents : les affaires de gardes conflictuelles ne représentaient que 3,8 % de l’ensemble des dossiers de garde aux Etats-Unis. Pourtant, 80% des pères violents qui demandaient la garde l’obtenaient. Comment y parvenaient-ils ? Ils parvenaient à convaincre les juges que la mère avait manipulé ses enfants pour « aliéner » le père. Et la punition tombait comme un couperet : l’autorité et la garde étaient confiées au père. La mère était alors souvent condamnée à rencontrer ses enfants dans des lieux médiatisés, dans le cadre de visites payantes, lorsque le juge ne prononçait pas tout simplement une ordonnance d’interdiction de contact, qui interdisait à la mère de voir ses enfants sous peine d’emprisonnement.

Les atermoiements de Diana et les réactions de mes divers interlocuteurs prenaient soudain tout leur sens. De même que les accusations incessantes de Roth et de Julian. L’expert national de la question, l’avocat Barry Golstein, confirma ces dires :

– La plupart des affaires de garde se règlent à l’amiable : les mères obtiennent l’autorité conjointe. Ce sont les pères violents, des êtres méprisables dépourvus d’affect et de conscience, qui utilisent leur enfant pour punir la mère, qui veulent continuer à contrôler leur ex et la punir en lui confisquant l’enfant. Les pères non violents savent qu’il faut préserver le lien mère-enfant et ne veulent pas faire souffrir leur enfant.

– Mais comment est-il possible que des acteurs judiciaires formés à ces questions se fassent bluffer à ce point ?

– Les professionnels des tribunaux aux affaires familiales américains sont formés pour chercher l’aliénation parentale, pas pour protéger l’enfant. Et le concept du « friendly parent » (parent amical) a aggravé les choses. Les évaluateurs judiciaires sont formés pour « récompenser » le parent le plus coopératif qui respecte le plus l’image de l’autre.

Mes réflexes de journaliste me revenaient. Je décidai donc de faire une enquête journalistique en bonne et due forme. J’étais époustouflée, car ma situation prenait tout son sens : plus j’essayais de protéger mon enfant des violences paternelles, plus j’étais considérée comme « non coopérante », aliénante, et plus je risquais de perdre la garde. « C’est une véritable crise des droits civiques », m’expliqua l’avocat Michael Lesher, auteur du livre De la folie à la mutinerie : Pourquoi les mères fuient les tribunaux de famille américains. Je m’intéressai alors de plus près aux lobbies de pères divorcés et mouvements « masculinistes ».

Je découvris que ces mouvements reprennent les thèmes féministes en les inversant, accusant les femmes d’avoir déstructuré l’identité masculine et qu’ils réclament des droits plus favorables aux pères. Construit aux Etats-Unis et au Canada, sur le mythe de la femme misandre et de la mère malveillante, qui fait de fausses allégations contre le père pour avoir la garde, ce mouvement a fait une apparition en France avec le père monté sur une grue à Nantes pour obtenir la garde de son fils. Ces lobbies, particulièrement redoutables aux Etats-Unis, en Australie et au Canada, refusent la « culture de la victimisation de la femme ». Peu importe si 90 % des conjoints violents sont des hommes.

Les percées des masculinistes ne sont pas seulement médiatiques, mais aussi législatives : leur but est de réduire au maximum les peines encourues par les pères violents. Ils ont, comme me l’avait dit Diana, noyauté les sphères de la Justice, les associations de pères, la protection de l’enfance, la psychologie et la psychiatrie. A preuve : ils ont reçu 500 millions de dollars de subventions fédérales en 2010. « Peu de gens savent que ces groupes de pression, derrière l’image de gentils papas privés de leurs droits parentaux véhiculée par les médias, regroupent surtout des agresseurs qui utilisent l’enfant pour en découdre avec leur ex et qui se livrent à une véritable guerre contre les femmes, » m’expliqua Goldstein. « Ces mouvements utilisent le livre Screw The Bitch ! Tactiques conseillées aux pères pour obtenir la garde. C’est un gigantesque mouvement d’hommes misogynes conçu pour manipuler les tribunaux. »

Coïncidence entre toutes, mon avocate employait une jeune stagiaire passionnée. Elle s’appelait Jennifer Collins. Jennifer était la fille de Holly Collins. Holly était une femme battue à qui un juge avait enlevé ses enfants de 5 et 7 ans, Jennifer et Zachary, malgré des certificats médicaux attestant des fractures et blessures subies par les enfants. Partisan de la théorie du SAP, convaincu qu’ Holly Collins « aliénait » ses enfants parce qu’ils avaient peur de leur père, le juge décida de punir la mère et lui octroya un droit de « visite » de deux heures par semaine dans un centre médiatisé. A chaque nouvelle visite, ses enfants l’imploraient de les protéger de leur père violent. Un jour, affolée en découvrant des hématomes sur le torse de sa fille, Holly Collins partit avec ses enfants aux Pays-Bas qui, pour la première fois de leur histoire, accordèrent le droit d’asile à un citoyen américain. Holly Collins devint une fugitive internationale recherchée par le FBI. Aujourd’hui, 17 ans après, Holly Collins est rentrée aux Etats-Unis, où toutes les charges contre elles ont finalement été retirées.

Mon enquête jetait aussi la lumière sur le caractère lucratif des enfants de parents divorcés : l’industrie du divorce américaine, qui représente 50 milliards de dollars annuels, plus que tous les autres tribunaux américains, et, autour de laquelle gravitent des parasites tels que Mussari, Weissman, McCaine, les avocats pour enfants, etc… qui ont bien sûr tout intérêt à perpétuer les conflits entre les anciens époux. « Les sommes que les parents sont prêts à payer sont tout simplement faramineuses », me dit Sylberg. Je ne le savais que trop bien, moi qui avais dû vendre mon appartement new-yorkais pour m’acquitter de près de 200 000 dollars en frais judiciaires. A raison de 400 à 700 dollars par heure, les avocats ont avantage à faire durer la procédure de même que les médiateurs qui, comme Weissman, doivent faire preuve de neutralité vis-à-vis des deux parties pour ne pas perdre leurs clients. 20 à 40 000 dollars pour des « expertises » réalisées par des experts « formatés » et épris de la doctrine du SAP. Pourquoi les avocats des enfants voudraient-ils régler ces affaires ? Ils voient dans chaque enfant une source de revenus pour les quinze prochaines années de leur vie, car le parent protecteur ne se résoudra jamais à abandonner son enfant. Sans compter l’argent que le parent protecteur doit verser aux agences de supervision des visites, souvent facturée à 200 dollars l’heure. Entre novembre 2010 et février 2012, Sunny Kelley m’expliqua qu’elle avait dû payer 123 511 dollars pour « voir » son enfant que de graves abus sexuels – étayés par un éminent psychiatre de Harvard – perpétrés par son père avaient rendu quasiment psychotique. De nombreuses mères se défendent elles-mêmes car elles ne peuvent pas se permettre de payer les honoraires d’un avocat.

Cette enquête me bouleversa, mais la suractivité qu’elle généra me permit de combler le vide laissé par Gwendolyn. Pendant son absence, pendant cette période d’incertitude où j’aurais pu lâcher prise ne sachant pas si j’allais de nouveau la serrer dans mes bras, cette enquête devint ma raison de vivre. J’entrai rapidement en communication avec nombre de « mères protectrices », comme il est convenu de les appeler, sur les réseaux sociaux, et je constatais que l’ « épidémie nationale » décrite par Silberg n’était pas une fiction. Leurs histoires me donnaient le vertige tant elles étaient similaires à la mienne. Les chiffres avancés par les organisations, les avocats et les universitaires étaient loin d’être farfelus. Nous étions des milliers de mères protectrices incapables de protéger nos enfants, victimes de la vindicte pathologique de nos ex et de la complicité des tribunaux. La force morale et les efforts de ces femmes pour « continuer à faire partie de la vie de leurs enfants », pour leur apporter un peu de beauté étaient sublimes, héroïques.

Il y avait Michelle, à qui un juge avait ordonné de ne plus jamais revoir sa fille de 14 ans, mais qui continuait de communiquer en cachette en cachant des mots dans les livres empruntés par sa fille à la bibliothèque municipale. Elle avait obtenu de la bibliothécaire compatissante qu’elle appelle sa fille pour lui dire que le « livre qu’elle avait demandé était arrivé. » La lecture de ces livres était comme une conversation ininterrompue. Il y avait Melissa, plusieurs fois arrêtée suite aux fausses déclarations de son ex, qui continuait de voir ses enfants 3 heures par semaine malgré les nouveaux risques d’arrestation et la froideur de ses enfants, menacés de représailles terribles par leur père si ils montraient le moindre sentiment à l’égard de leur mère. Il y avait Julie dont l’ex, qui avait obtenu la garde exclusive de leur fille de 6 ans et déménagé pour rompre les contacts entre la mère et l’enfant, n’hésitait pas à déménager une deuxième fois pour avoir le droit de voir sa fille 13 heures par semaine au prix de 2200 dollars par mois. Il y avait Elisabeth, dont la petite Olivia de 7 ans avait déjà des velléités suicidaires, mais qui écrivait chaque jour une nouvelle page de la vie d’un lutin pour tenter d’arracher un sourire à une enfant désespérée le jeudi soir pendant leurs visites hebdomadaires. Il y avait Maria à qui la fillette de 4 ans avait répondu, en apprenant qu’elle allait avoir le droit de passer 8 jours avec sa mère à Noel : « Oh maman, en vrai pour de vrai ? Dis-moi que je ne rêve pas…»

Ces mères étaient héroïques. Les retrouvailles mère-enfant, aussi brèves et improbables fussent-elles, étaient comme des décharges électriques qui leur redonnaient vie. Ces mères protectrices devinrent mes « amies » et me tinrent compagnie pendant cette longue période. »

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